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Le design peut-il (encore) sauver le monde ?

Réchauffement climatique, catastrophes naturelles en pagaille, pollution dans le rouge, inégalités sociales, biodiversité en berne, etc. Longue est la liste des problèmes que compte notre société actuelle et grande est l’ambition de ceux qui ont des idées pour les résoudre. Si la tâche est ardue, des outils existent. Le design numérique est une discipline qui peut leur venir en aide, à condition – bien sûr – d’en éviter les écueils.

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A priori… non !

“Design”. Ce mot est utilisé à toutes les sauces. Pour le Larousse, le design est une “discipline visant à une harmonisation de l’environnement humain”. En 1878, Herbert A. Simon, Prix Nobel d’économie le décrit “non pas tant comme un processus physique que comme un mode de pensée”. Il vient de définir le design thinking. Quatorze ans plus tard, Richard Buchanan réalise une avancée déterminante dans son article « Wicked Problems in Design Thinking » où il propose de recourir au design thinking, ce mode de pensée itératif en cinq étapes – empathie, définition, idéation, prototype, test – pour venir à bout des challenges les plus tenaces. Aujourd’hui, le design est une discipline capable de s’attaquer à beaucoup de problèmes de société et, ce faisant, de contribuer à améliorer l’habitabilité du monde dans toutes ses dimensions. Souvent, la réussite d’un projet dépend plus de sa « mise en œuvre » (design stratégique) – son introduction et son intégration dans la situation existante – que de la conception d’un projet lui-même. Le design n’est donc plus une activité confinée à la mise en forme des objets, mais devient un véritable outil au service de la mise en forme de l’intelligence collective et du changement. Comme toute bonne invention marketing, le Design Thinking a fait fureur et s’est énormément démocratisé. Plus cette pensée était connue, plus certains l’ont vu comme un moyen de se remettre dans la course à l’innovation. Les entreprises ont souvent malheureusement perdu la rigueur et le sens initial de la méthode et n’ont pas de remords à concevoir des absurdités. Alice Rawsthorn, spécialiste britannique note d’ailleurs : “J’ai toujours trouvé étrange que le design soit majoritairement présenté et discuté comme étant bon et positif. En réalité, la plupart des projets sont profondément médiocres et beaucoup sont carrément mauvais. Aussi, le mauvais design a tout autant, si ce n’est plus, d’impact dans nos vies que le bon, et réparer les dommages qu’il cause peut être extrêmement coûteux en termes d’argent, de temps et d’énergie.“ Illustration parfaite de ces propos : Ethan Zuckerman qui, grâce à l’invention de la célèbre fenêtre pop-up, est sûrement l’un des hommes les plus maudits d’Internet. Il a d’ailleurs fait son mea culpa en 2014… L’enfer est pavé de bonnes intentions, paraît-il.

Mais il peut peut-être aider

Pour éviter de se prendre les pieds dans le tapis du design thinking, il s’agit, et aujourd’hui plus que jamais, de revenir à la vraie définition du design. 

Évitons ces écueils, concevons les choses autrement pour un monde meilleur et plus équitable, mettons en avant l’intelligence collective et la richesse que peuvent nous apporter les différences de chacun. 

Il est toujours bon d’avoir conscience de son ignorance”, disait Darwin. Admettre que nous ne pouvons pas tout connaître est déjà un grand pas en avant. De son côté, Mike Monteiro, célèbre designer et fondateur de Mule Design évoque la notion de “veille d’ignorance”. D’après lui, cette veille vous aide à comprendre le vrai système. L’outil indispensable pour y arriver, c’est l’empathie. Elle permet de comprendre les choses du point de vue des autres et de savoir si notre travail ne tombe pas dans un trou noir éthique ou moral, en essayant de voir comment il affecte des personnes qui ne sont pas nous. 

En 2021, nous sommes encore loin du compte. Pinky, une start-up allemande, a récemment voulu révolutionner l’hygiène féminine, en créant des gants menstruels pour les femmes. Ils sont roses, ils sont mignons et ils permettent de retirer et d’emballer une protection périodique en un seul geste. Le problème ? Cette invention est née dans la tête de deux hommes, disant vouloir “comprendre les femmes et les aider”, mais disant également que “regarder dans la poubelle (…) c’est juste désagréable”. Alors, cette invention est-elle née pour les femmes ? Ou plutôt pour ne pas déranger les hommes ? Depuis quand est-ce compliqué pour elles de se débarrasser d’un tampon ? Est-ce qu’en plus de leurs protections périodiques qui leur coûtent environ 20 000 euros sur toute une vie, elles ont vraiment besoin de rajouter le prix de ces gants ? Peu de temps après son lancement, le Pinky Glove a été la cible d’un acharnement sur les réseaux sociaux, étant qualifié d’objet sexiste, inutile, culpabilisant ou même stigmatisant. Cette start-up, voulant bien faire, n’a finalement fait que courir à sa perte.

L’empathie n’est plus la seule condition à respecter aujourd’hui, il faut aller encore plus loin en étant inclusif dans les processus de création. 

La visée de l’inclusivité

Comme l’indique Sasha Costanza-Chock, chercheuse en communication, designeuse et activiste, «le design médiatise une grande partie de nos réalités et a un impact énorme sur nos vies, mais très peu d’entre nous participent aux processus de conception.»

La diversité des personnes, leurs caractères et personnalités, leurs origines, leurs genres, leurs expériences, leurs besoins, leurs pensées sont autant d’éléments à prendre en compte quand nous souhaitons concevoir quelque chose. Si nous voulons actualiser un design véritablement centré sur l’humain, nous devons créer des équipes qui valorisent et responsabilisent les concepteurs. Avoir une vision globale et faire en sorte que les problèmes ne soient pas cloisonnés est essentiel. C’est inimaginable aujourd’hui que des hommes blancs résolvent les problèmes des hommes blancs ou que les hommes résolvent les problèmes des hommes et les femmes les problèmes des femmes. Certaines personnes ne sont pas confrontées à certains problèmes et donc ne peuvent pas savoir qu’ils existent. Pour être vraiment centré sur l’humain, le design doit être inclusif. Sinon, c’est juste un design centré sur certains humains privilégiés

La finalité de la bienveillance

Chacun est responsable de la façon dont il conçoit les choses et surtout de la façon dont ces choses impactent le monde. La finalité du processus de design ne doit pas être prioritairement marchande mais doit être subordonnée à une finalité supérieure, à savoir : le bien commun.

Cela peut inclure l’innovation numérique au service des citoyens ou l’innovation culturelle au service des territoires par exemple. La plateforme “Covid Tracker”, imaginée suite à la crise sanitaire du covid 19 par Guillaume Rozier va dans ce sens. Le créateur explique que « l’idée de départ était de pouvoir proposer une plateforme qui permet de suivre la dynamique de l’épidémie, d’en comprendre la gravité, ainsi que son évolution au sein des différents territoires et tranche d’âge, afin de mieux s’adapter, lutter et anticiper ». 

Le temps où les marques vendaient uniquement un produit ou un service est révolu. Quel que soit le secteur, les marques qui se distinguent le plus aujourd’hui sont les « life changers ». Celles qui ont un impact positif sur la société et les individus, qui sont passées d’une logique de « service au consommateur » à celle de « bénéfice pour la planète ».

Encore loin de l’apocalypse annoncée en 2012, ou en 2067 par nos sciences fiction préférées, l’être humain a beaucoup de chemin à parcourir avant de construire une société, des objets, des services conçus pour le bien de tous. Aujourd’hui pour beaucoup, la richesse est un bon business plan, qui va apporter une entrée d’argent tous les mois. Demain, espérons que celle-ci se transforme en une volonté commune d’œuvrer pour le bien.

Et si au contraire il ne fallait pas essayer de faire les choses autrement afin de se distinguer et sortir du lot, si aussi au contraire, il ne fallait plus s’évertuer à suivre les consignes au mot près mais plutôt déroger à la règle ? Méditons un peu là dessus.” disait Nicolas Cloarec, designer et directeur d’une agence numérique.

Allez… Bon courage les humains !


Adèle Moisdon

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